Veillée

Cette nuit le père de Redwan est mort. Une crise cardiaque je crois. On m'a appelé cet après-midi pour me l'annoncer, j'avais compris que c'était son frère... J'appelle Gemal qu'il m'emmène à une cérémonie en son honneur. On a mis longtemps pour arriver. On s'est perdu un peu. Gemal m'a énervé, au lieu d'appeler celui qui me l'avait annoncé il voulait appeler Redwan pour la route ! J'ai du insister pour qu'il appelle ce gars, j'étais à la limite de l'insulter.
Je suis finalement arrivé dans une grande salle avec un mafraj. J'ai retiré mes chaussures et je suis rentré. Redwan était au téléphone, je lui ai serré la main et celle de son frère et je suis allé m'assoir quelque part. Ça parlait pas beaucoup, tant mieux j’avais pas envie de parler. On entendait lire, enfin chanter, des versets du Coran... Je crois que quelqu'un les chantait directement mais la salle était grande, j'arrivais pas à savoir où il était. Je comprenais rien bien sûr mais c'était très émouvant à entendre. Un moment après Redwan est venu s'asseoir près de moi. Il m'a demandé ce que je faisais ici. Je me suis senti super mal à l'aise... J'ai répondu que j'ai trouvé important de venir le voir pour lui présenter mes condoléance. Il m'a demandé quand je partais et m'a proposé de s'arranger pour venir avec moi à l'aéroport. Je l'ai remercié, je lui ai dit que je savais pas trop ce qui se dit au Yémen dans ces cas là. J'avais envie de lui dire que son père devait être quelqu'un de bien, et qu'il devait être fier de lui, qu'il devait être triste parce qu'il assistera pas à son mariage mais que quelque part il y sera ce genre de conneries. Il m'a répondu qu'être là c'est suffisant et qu'il n'y avait rien à dire. Il m'a demandé s'il pouvait y aller, j'ai répondu bien sûr ! Ça m'a mis mal à l'aise cette question, je suis plus son "boss" et encore moins dans un jour pareil. J'ai eu l'impression de m'être imposé alors que j'aurais pas du. Il m'a conseillé d'y aller parce que la cérémonie serait longue et qu'il ne pourrait pas rester avec moi, mais c'est bizarre quand il me l'a dit j'ai plutôt eu l'impression qu'il avait apprécié ma venue. Je pense que j'ai bien fait d'y aller et qu'il a apprécié en fait.
Je suis reparti, j'ai remis mes chaussures. Redwan m'a remercié d'être venu. Je suis remonté dans la voiture. J’étais triste. J'avais pas envie que Gemal me parle de ses embrouilles, qu'il me demande de dire à son chef que j'avais besoin de lui pour qu'ils lui donnent rien à faire et qu'il puisse aller voir sa femme. Ça m'a énervé qu'il me parle de trucs cons comme ça. J'ai dis "ok ok" j'avais pas envie qu'il continue de parler. Il m'a acheté un paquet de chewing gum à un feu rouge. J'avais pas envie qu'il m’achète un paquet de chewing gum à 20 centimes pour me remercier d'un truc aussi merdique.

* Bras

Je prenais plus de plaisir dans les bras de mon coussin en rêvant à toi que maintenant. L'image que j'avais de toi était bien plus confortable que tu ne l'es. Je crois qu'au fond c'est toujours comme ça. Les hommes sont pas faits pour être concrètement dans les bras de quelqu'un. On est pas fait pour être collés à deux et pourtant on en rêve. Je sais pas à quoi c'est du, est-ce de l'instinct ou de l'aquis? Moi j'en sais rien mais j'ai toujours voulu avoir quelqu'un à serrer dans mes bras, et après 5 minutes à l'avoir, j'ai toujours cherché un prétexte pour m'enfuir.

* Mariage

- Votre attention s'il vous plait mesdames messieurs les invités, Clémence... Je voudrais faire un petit discours en ton honneur. Je vais sortir mon petit papier parce qu'il est un peu long mon discours et je voudrais rien oublier parce que j'ai mis vachement de temps à l'écrire et qu'il est vachement émouvant. Putain j'ai écrit aussi petit que sur mes antisèches au lycée ! Bon. Tu me dis tout le temps que je manque d'inventivité en amour, que je suis plein de clichés. Mais c'est pas facile vous savez d'être inventif en amour. Le romantisme ça a déjà 200 ans au moins vous savez. C'est pas nouveau quoi. T'as un paquet de gars qui s'y sont essayé quoi. Je veux dire quand t'as des Rimbaud, des Apollinaire, et même des Shakespeare avant ou des Senghor après et j'en oublie plus d'un, bref plein de gars bourrés de talent qui ont écrit l'amour qu'est-ce que tu veux que moi j'apporte de nouveau ? Alors tu me dis nous c'est différent, c'est une relation à part, c'est des sentiments nouveaux ! Tu parles tu crois que t'es plus inventive que moi ? Tu as pas un peu l'impression de te foutre de ma gueule quand tu dis que c'est nouveau ? Non non mais vous inquiétez pas ça à l'air moche comme discours mais vous allez finir par dire "oh!" on est là pour dire "oh" non mon amour ? Donc je disais nous c'est nouveau ? On se tient pas la main dans la rue comme tout le monde ? On va pas au restau avec des chandelles et tout comme tout le monde ? On est pas en train de se marier comme tout le monde ? On veut pas des enfants comme tout le monde ? On s'engueule pas pour des conneries comme tout le monde ? Mais au fond on se dit qu'on est quand même vachement mieux ensemble comme tout le monde ? Non non ne pleure pas je te jure c'est pas un reproche que je fais au contraire. Y a des millions de gens qui ont la même chance que nous. Ça enlève rien à la beauté de ce que c'est toi et moi ! Y a des millions de gens qui ont pas la chance d'avoir ce qu'on a, et puis en quelque sorte c'est comme notre Twingo, c'est pas parce que plein de gens qu'on l'aime notre Twingo à nous... Enfin toute proportion gardé quoi. C'est génial je veux dire toi et moi, comme c'est, et qu'importe si ailleurs c'est nul ou génial, mieux ou moins bien que nous car toi et moi c'est merveilleux : grâce, je choisis le bon mot, grâce à toi, ma vie est plus pareil et elle le sera jamais. T'as changé mon destin et j'espère que j'ai changé le tiens, enfin j'imagine bien on se marie quand même. Donc tu changes mon destin c'est clair, mais faut pas que tu me demandes de changer le destin de l'humanité pour autant. Je veux dire faut pas que tu me demandes de changer le monde parce que moi je sais pas faire. Toi et moi on changera le destin du bonhomme ou de la princesse que t'as là, que t'auras là bientôt. Ça le changera pas son destin, mieux ça va le créer. Toi et moi on va créer un destin. Et lui ou elle (à partir de maintenant je vais dire que lui mais vous saurez que ça peut être les deux je m'en fous) bref lui, avec son petit destin à lui qui va grandir, il va aller changer le destin de quelqu'un d'autre. Et ensemble ils vont créer un nouveau destin eux aussi et un autre et un autre encore. Et si on le fait bien et puis si on a de la chance et tout, on va créer un destin qui a un moment va en changer tout un tas d'autres ! Vous voyez on y arrive aux fameux "oh" C'est merveilleux non ? C'est à portée de notre main, à portée de ton ventre, de ton usine à destin qui va démarrer sa production bientôt et changer peut-être dix milliards de destins. Il lui a fallu 26 ans pour être prêt ton ventre et j'apporterai la matière première tant qu'il faudra et on va le changer le monde, dans une deux trois ou dix mille générations peut-être. Alors je t'en prie m'en demande pas plus parce que c'est déjà si beau le potentiel qu'on a et qui vient de je sais pas où. Alors m'en veut pas de pas être l'homme le plus poétique du monde, de pas être celui qui réinvente l'amour pour toi parce que toi et moi on va engendrer une merveille c'est sûr.
- J'ai vu mon gynéco y a trois semaines. Je suis stérile. Mais t'inquiète pas, c'est un motif d'annulation, tu pourras en trouver une autre à qui ressortir mot pour mot ton baratin et que tu pourras engrosser. Adieu.

* Rencontre

- Aujourd'hui j'ai rencontré l'homme de ma vie... Comme dans la chanson, tiens. Je marchais tranquillement dans la foule, cherchant des amis que je devais retrouver. C'était comme dans les films américains. J'ai croisé son regard et on est restés comme bloqués. Tout autour de nous bougeait au ralenti, comme si le temps lui-même nous avait accordé un répit. Je lui ai souri, bêtement. Lui rien j'ai paniqué. Il se tenait à quelques mètres de moi, il était fait pour moi. Il portait un gilet gris avec une chemise blanche et une cravate juste un peu desserrée, comme après quelques heures de fête. J'ai toujours aimé les hommes en gilet. Il portait une petite barbe de trois quatre peut-être cinq jour. Le genre négligé entretenu. J'ai toujours adoré les hommes qui faisaient semblant d'être négligés. Il me jaugeait comme on fixe une bête sauvage. Je paniquai. Puis soudain son visage s'est éclairé dessinant un sourire timide qui fit reprendre au temps son cours. On m'a tapé sur l'épaule, me sortant de ma torpeur "Putain depuis le temps que je te cherche j'dois te présenter Fabrice". Je me retourne une dernière fois pour le voir encore, lui faire un signe mais il n'est déjà plus là. Dommage. Qu'importe la terre est ronde pour ceux qui s'aiment, on se reverra vite.
- La terre est ronde pour tout le monde tu sais.
- Non non, elle est sphérique pour les autres, ça a l'air d'un détail en fait non.

* Retrouver

Y a pas d’plus grand plaisir que quand tu crois qu’t’as perdu que’que chos’ qu’t’as peur t’sais qu’tu cherches partout dans l’frigo l’micro-onde et tout et qu’t’as un flash d’un coup sans raison. Tu l’as pas encor’ revu et si ça s’trouve tu t’goures tu l’as pas r’trouvé en fait mais tu sens qu’tu sais tu sais. D’ailleurs souvent tu traînes, au cas où tu t’tromp’s pour jouir encore un peu de ce p’tit bonheur quoi. Pis soudain, t’es comme l’sprinter après le coup d’pistolet : tu t’précipit’s tu déchir’s tout t’arrach’s tout c’qu’est sur ton passage pour atteindre ton but ton seul but ta ligne d’arrivée. C’est ça manager son bonheur.

* Argumentation

Argumenter c’est pas mon fort. Dans ma tête y a des connexions qui semblent logiques, évidentes mais tout le monde pense le contraire. J’essaie d’expliquer mes liens logiques mais j’arrive toujours au niveau zéro de l’explication où c’est l’intuition qui doit prendre le relais, mais elle ne semble le prendre que dans ma tête.

* Schizophrénie

J’ai l’impression d’avoir trop de personnages en moi pour n’en être qu’un seul. J’ai ce besoin de les séparer et de leur offrir chacun une vie, comme pour m’extirper ma schizophrénie.
C'est pour ça que j'ai plusieurs groupes, plusieurs cercles de gens autour de moi et chacun a droit à un personnage différent. Il y a le marrant, le poète, le propre sur lui, le trash. Le problème c'est qu'il parait qu'on connaît tous tout le monde sur terre au 6e degré alors j'ai toujours peur que quelqu'un cercle particulier découvre un des autres "moi"...

* Coeur

J'avais pas compris l'expression « avoir le cœur brisé »... Je croyais que ça voulait juste dire se sentir triste tout d’un coup. J’avais pas compris avant de le voir, avec elle, la serrant dans ses bras, collant sa joue contre la sienne, regardant dans la même direction, vers leur avenir, vers son avenir à lui, sans moi, et j'ai senti mon coeur se serrer, littéralement. J'ai regardé ailleurs pour ne rien voir, j'ai regardé ailleurs en pensant que j’avais rêvé ou quoi en suppliant dieu ou n’importe qui de me montrer que j’avais juste rêvé. C'était comme un appel, je devais les regarder encore et encore, tandis que mon cœur se serrait de plus en plus fort, jusqu'au moment où il a lâché, je savais pas qu'il pouvait, il s’est brisé pour de vrai libérant comme une nuée de larmes.

* Mort

Parfois j’ai comme une envie de me boucher le nez pour éviter qu’ça remonte… L’eau tu sais ! Et de sauter en aiguille ou en allumette comment on dit déjà ? Tout droit tu sais, les bras le long du corps. Puis de m’enfoncer et de sentir tous mes os se détruire un à un sous l’impact avant de m’évader de mon corps devenu trop douloureux. J’ai envie que ce soit pénible, sanglant, qu’on interdise les images aux mineurs, qu’un pauvre gamin sage qu’a rien fait pour mériter ça me voit et s’en remette jamais.

* Chaud

Au début t’as juste l’impression que chaque mouvement est plus pénible que c’est dur de respirer que tu pèses des tonnes, comme si t’étais au fond de l’eau. Tu sens ta peau s’humidifier. Tu marches toujours parce que si tu t’arrêtes tu repars pas et tu t’effondres sur place, parce que tu crois que quelqu’un t’attend quelque part. Mais tu te vides, tu laisses tes tripes derrière toi, noyées dans un bain d’eau salée qui s’évapore au contact du sol. Et t’as peur de te tout perdre alors t’accélères, et la brume qui s’échappe de ton propre corps meurtri t’aveugle et tu tournes en rond et tu te vides encore plus vite et chaque pas semble te coller un peu plus au sol. Les songes qui t’aidaient à tenir t’envahissent maintenant complètement et tu délires. Puis soudain tu es léger, aérien comme un ballon gonflé à l’hélium, gonflé d’hélium par la bouche, et tu suffoques dans ton délire en croyant t’envoler.

* Froid

J’arrive pas à comprendre comment ça marche, et pourquoi surtout. Ça commence par une sensation de légèreté dans mes membres. Tu bouges pour t’alourdir mais ça suffit pas. Et t’as beau te frictionner c’est de pire en pire. Tu sens que tu perds l’équilibre, que ça tourne là-haut. Maintenant ça fait mal, comme des lames de rasoirs qui redessinent les contours de ta veine et plus la douleur s’intensifie plus tu planes. Et soudain ça s’arrête. Et là t’as plus mal. Tu planes c’est tout. Et cette sensation t’envahit en passant par ton sang pour irriguer tout ton corps et ton souffle se coupe et tu cries. De douleur ou de plaisir mais tu cries toutes ces hormones qui bouillent dans ton corps devenu trop lourd et tu tombes.

*Coca

J’ai beau ne pas être d’accord avec leurs méthodes de travail et tout, l’exploitation les conditions de vie dans les pays pauvres la mondialisation massive et les gens qui meurent de faim rien, rien au monde ne vaut un bon coca avec une rondelle de citron et tant que personne n’arrivera à faire mieux je resterai complice chaque jour de tout ce qui va mal dans le monde.

* Goûts

J’ai l’impression que nos goûts sont vachement liés à ce qu’on a vécu quand on était gamin c’est pour ça qu’on les comprend pas. Si les garçons aiment le bleu ou le rouge je suis sûr que c’est parce que c’est la couleur de leur première voiture miniature, tu sais les « majorettes », j’ai jamais su pourquoi ils les appelaient comme ça d’ailleurs enfin bon. Ce que je veux dire c’est que peut-être parfois, y a quelqu’un qui te fait un sourire une fois, un sourire dont tu souviendras pas, quelqu’un dont tu te souviendras pas mais quelque part tu gardes le vestige du petit bonheur que t’as connu en aimant j’sais pas moi, les chemises rayées, les nez en trompette ou j’sais pas quoi.

*

On a beau être aveugle au fond d’une grotte et mort ou quoi on sent le jour se lever chaque matin, toutes les 25 heures.